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6 décembre 2020 7 06 /12 /décembre /2020 20:55
Un vieux sage de chez moi avait cette formule juste et très au fait du comportement humain: «Ma ighleb-ik yiman-ik,ak-ghelben medden, ma tghelbad iman-ik,ad tghelbad medden » (S3ID AHEDDAD,du village Ait Bouada,de son vrai nom Haddar S3id, mort autour du début des années 70).
Toute ma critique de la société kabyle procède d’abord de mon attachement viscéral et incommensurable au souci de la voir dépasser ses échecs historiques, naître à la face du monde et réussir son affirmation identitaire et sociopolitique. Mais, dans le strict respect de la fidélité à ceux qui nous ont procédés et qui souvent avaient payé par le prix fort de leur liberté et de leur vie.
Nous sommes les produits de notre culture et de notre histoire. Nous sommes attachés à taqwbaylit et avons toujours été conscients de l’excellence que nos ancêtres attribuaient aux valeurs de celle-ci. Les époques changent et les équations sociopolitiques inhérentes à la Kabylie restent invariablement les mêmes, à savoir l’ostracisme implacable des pouvoirs centraux successifs autour de nous malgré nos investissement patriotiques historiques.
La littérature politique quotidienne abonde en dénonciations et en mises en cause des réflexes politiques et sociaux qui polluent les rapports de la Kabyle au pouvoir et empêchent la construction de l’intégration nationale et de l’être national.Avions-nous fait notre autocritique et avions-nous véritablement situé tous les nœuds porteurs de nos incompréhensions et de nos contradictions, voire de tous nos lieux culturels anida tekres tyersi ? Nous ne serions nous-mêmes que quand nous parlerions véritablement des déterminants socioculturels de notre société et que nous mettrions le doigt sur les travers de notre pensée et de notre comportement. Yenna yas yiwen lemtel n zik-nni :«ur suttur ur sfulluh,baba k idal i tizi,keccini ernu cituh».
Être un homme d’aujourd’hui et se revendiquer d’être en phase avec les acquisitions de savoir et de civilisation qui font la fierté des grandes nations, c’est concilier le substrat culturel d’hier aux combats cohérents et rêves d’aujourd’hui et aux promesses de demain, loin des renoncements qui signent les ruptures (et révolutions) qui finissent toujours par exploser à la figure de leurs auteurs, époques ou générations)…
Mettre en équation notre authenticité, l’expliciter et la rendre intelligible par la culture d’aujourd’hui, c’est ce qu’il nous convient de faire et de réussir en veillant à ne pas rompre le continuum culturel et historique qui nous relie à notre ancestralité et à la philosophie de vie qui avait fait sa spécificité et l’avait préservée des bourrasques des siècles et lui avait permis d’éviter de se rendre soluble dans les civilisations et ensembles géoculturels des autres, pourtant plus puissants. Nos ancêtres avaient traversé les siècles, démunis et soumis à leur infériorité, certes, mais indemnes puisque pourvus de la force de se régénérer.
Nos montagnes inaccessibles qui rebuteraient la lus farouche des volontés, notre langue et notre culture qui ont la vieillesse de la rocaille du Djurdjura , notre sens de l’identité et de sa pureté, notre honneur ombrageux (qui avait si souvent dérapé, jadis, en guerres intestines )…notre jalousie inviolable de nos territoires physiques (espace de la tribu) et psychologiques (pureté du sang), voici, entre autres, les barrières qui avaient contribué à maintenir notre « pureté » culturelle et ethnique…
A l’ère du numérique, les eaux sont si mêlées culturellement et les sciences de la communication si développées que les échanges entre sociétés différentes et citoyens du monde, tout méritoires qu’ils soient pour l’équilibre et l’harmonie du monde , n’en charrient pas moins, à terme, des risques de «mort culturelle» pour les cultures «impuissantes»,les cultures orales non accomplies et qui souffraient déjà de non confirmation et de non achèvement millénaire (La race berbère existe depuis des milliers d’années et n’a pas encore construit sa cité politique, nous ne le dirons jamais assez).Homogénéisation qui nous perd : «Venez accéder à l’universel défini par notre génie occidental qui a soumis le monde, tracé la géographie des pays et écrit l’histoire des Hommes. Venez au monde sans rivages et sans reliefs, qui fait fondre les cultures inachevées dans les canons accomplis de nos philosophies matérialistes, adoptez nos méthodes d’être et de lutte, notre fondé sur notre anticléricalisme et notre vision du monde sans Dieu. Notre civilisation vous avait tiré de votre subculture à laquelle vous étiez rivés pendant des siècles…Le colonialisme a, certes, été condamné par l’Histoire, mais a été un mal nécessaire pour vous. Il a été porteur d’une vision du monde que votre auto reproductive tradition n’a pas su produire malgré votre longévité historique et qui vous a ouvert les yeux à une modernité dont nul ne peut s’abstraire…».
Ce frelatement qui nous fait croire sournoisement à un accessit, cet abâtardissement, cette disparition, cet effacement de nous-mêmes à laquelle tout concourt et que tout esprit responsable devrait conjurer partout, à tout moment et en toute chose, pourrait s’accomplir avec le temps et le parangon certain qui devrait asseoir en nous cette thèse en est la dilution imperceptible des lourds référents psychosociaux qui avaient pesé profondément dans les eaux sociales et tumultueuses de l’histoire.
Nous retenons deux éléments fondamentaux qui ont concouru à cela: le maintien de la culture orale, son non-accès à l’écriture et à la tradition scripturaire et la stagnation de la société pendant des siècles au stade de la tribu en matière d’organisation sociopolitique. La notion de l’Etat n’était jamais advenue pour supplanter la tribu et jusqu’ à sa colonisation française par les troupes du général Randon, d’abord en 1857 puis définitivement après la défaite de 1871, la Kabylie n’était jamais inféodée à quelque pouvoir central que ce fût. Je retiens de mon père qui le tient lui même de la chronique populaire traditionnelle que lorsque les Kabyles, jaloux de l’inviolabilité de leur territoire, surprenaient un Turc foulant la terre de leur pays, ils le soumettaient une punition spéciale : on attachait à son cou un joug qu’il partageait avec un bœuf pour battre les chardons sauvages pieds nus (ad yesserwet azeggwar hafi) !
Les solutions de facilité et «l’à-plat-ventrisme» culturel nous avait différé toute remise en cause véritable de nous-mêmes.
Nous considérons que pour une culture, exister, c’est rattraper les autres, c’est être conquérante…La Kabylie, a traversé des siècles et s’était contentée de durer, invariablement. Oui, on peut s’enorgueillir d’avoir gardé notre race et de parler une langue qui a des milliers d’années d’âge. Mais, à quel prix? Confinés dans notre Djurdjura rocailleux (la seule richesse de la Kabylie, c’était ses hommes qu’elle avait de tout temps expatriés pour nourrir les leurs), nous avions fui l’opulence des plaines et nous avions tourné le dos à l’Histoire des Hommes, qui s’est faite sans nous.
« Après vingt-cinq siècles de civilisation étrangère…,les multiples colonisateurs qui sont passé sur leur sol, des Carthaginois aux Français, en passant par les Romains, les Vandales, les Byzantins, les Arabes et les Turcs, nul ne leur a transmis sa civilisation…et les Berbères sont restés eux-mêmes… », disait Mouloud Mammeri. C’est-à-dire non affectés par les des mutations vitales et importantes qui auraient dû apparaître dans leur longue histoire et n’avaient pas eu lieu. La société berbère portait et entretenait une culture convaincue de son excellence, excellence dont la fonction vitale agissait profondément dans le corps de la société et par laquelle se couvraient ses échecs recommencés et n’autorisant nulle remise en cause essentielle.
Les Civilisations du monde, toutes, étaient nées près de Grands Fleuves (Indienne, Chinoise, Egyptienne, Mésopotamienne …).C’était la logique biologique même que les êtres vivants, hommes ou animaux, fissent de la proximité de l’eau et de la fertilité des terres, la condition essentielle de leur développement. Et ces terres, il fallait se disputer pour les avoir, il fallait se confronter et se mesurer aux autres peuples. Il fallait, pour ce faire, disposer des moyens de lutte, d’une puissance militaire combattante et dissuasive. Qu’avions-nous à opposer aux Autres qui entreprenaient de nous dominer? De quelle industrie même primitive pouvions-nous nous prévaloir pour prétendre faire reculer les Envahisseurs? … Rien ! Seule solution : reculer vers la haute montagne, monter vers les cimes de la haute montagne et inventer les légendes qui transformaient nos défaites. «Adrar n l3ezz at-nali». Mais, où donc gît L3EZZ AGI que l’on prétendrait abriter dans nos nids d’aigles où la vie a toujours été très difficile? L’opulence économique, les coulées de moutons et les cités du savoir, c’était d’autres latitudes qui les avaient abritées. On s’était contenté de durer, de nous nous sauvegarder et au prix fort et vital de la vie. Il n’y avait nul honneur dans la défaite ! Les meilleurs d’entre nous à travers les âges s’étaient distingués dans la culture de l’Autre, de l’Autre qui nous avait dominés précisément. Nous ne retournions à nous-mêmes que pour accomplir et entretenir nos intestines guerres, nos irrédentismes, nos archaïsmes et nos identités parallèles. Le kabyle se pose en s’opposant. Toujours et cela dure encore….
(Extrait de Le Passé impensé, ouvrage à paraître).
Mohand Améziane Haddag
©Tous droits réservés
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