FERHAT ABBAS, FERHAT MEHENNI ET LA NATION.

En réponse au texte d’un ami qui attribuait à Ferhat Abbas et à Ferhat Mehenni «d’avoir bien raison d’affirmer le déni de la nation Algérienne», il m’a semblé utile de diffuser cet écrit et d’éclairer l’opinion par ce qui suit, dans un débat serein, sans gratuités et sans anathèmes.

Les deux personnages se ressemblent dans l'erreur, cher ami, en ce sens qu’ils sont aux antipodes de la marche de l’histoire et qu’ils ont développé des discours favorables à leurs causes respectives et aux priorités liées à leurs prépondérances politiques. Commençons par Ferhat Abbas et posons nous cette question toute simple et toute de bon sens : "Comment peut- on avoir vécu dans la première moitié du vingtième siècle en ayant eu le privilège de l’instruction universitaire pendant que son peuple croulait sous les avanies inhumaines du code de l’indigénat et des injustices qui ne frapperaient même pas le genre animal, alors que grandissaient tous azimuts partout dans le monde des nationalismes indépendantistes, comment louper le train du combat pour le recouvrement de la liberté des Algériens? Parce qu’il s était frotté durant sa formation de pharmacien à quelques molécules de biochimie, il avait cru devoir se démarquer des siens et se mettre dans l’habit des nouveaux bourgeois pour adopter un discours favorable à l’ assimilation ??? Rien que cela !!! La nation Algérienne dont il ne trouvait pas trace dans les cimetières qu’il disait avoir interrogés en vain, il fallait une grande dose de mauvaise foi et d inculture socioculturelle pour conclure à cette assertion car, inconsidérément de toutes les conditions anthropologiques qui réunissaient le peuple Algérien (Ethnie raciale berbère à plus de 95% ,un fond linguistique et syntaxique berbère sur lequel a été secrété et greffé l’Arabe Algérien qui rendait les arabophones Algériens différents et incompréhensibles des Arabes du Moyen-Orient…), la colonisation avait été suffisamment longue, injuste et profonde pour niveler sociologiquement et psycho socialement toutes les strates de la société nationale et forger la conscience de son destin historique commun…

J’ajoute ceci : la formation de la nation française que nous avons tendance , en aliénés, à citer en exemple car nous sommes dans la sphère géo-culturelle de son influence, a été favorisée par la royauté et le régime seigneurial avec ses titres de noblesse: comte, marquis, duc, baron....etc, que celle-ci avait institué et qui avaient aggloméré pendant des siècles le peuple de France autour de la personne du roi. Les Normands, les Alsaciens, les Bretons, les Occitans et les Basques sont différents tant ethniquement que par leurs langues d'origine ainsi que par les histoires et les mythologies populaires auxquelles ils étaient arrimés. Où serait, donc, le nid ou girait cette nation, dirions-nous? Ces peuples de France étaient plus différents entre eux que ne seraient les Kabyles des Chaouis unis, eux, par la langue berbère, la religion musulmane, l’histoire commune et le destin commun. Nous avons la fierté en tant que Kabyles de revendiquer notre grand Jughurta autant qu eux. S'approprier les mêmes figures historiques, les mêmes référents psychosociaux représentatifs de notre liberté et de nos grandes valeurs de groupe. Voici les secrets intimes sous-tendant la notion de nation... On raconte même que dans les années quarante, il était interdit aux élèves des écoles primaires Françaises de parler Breton dans les cours de récréation. La seule certitude que nous devrions considérer avait été et est toujours encore la puissance du Fait Étatique Français. L’Etat Français avait créé la nation Française...Pensons y tout le temps avant que nous formulions nos jugements.

Passons à l’ autre Ferhat et relevons que tout ce dont il pouvait se prévaloir et que nul ne pourrait lui contester, c était son combat et son investissement au service de Tamazight dès les années oùil était étudiant. Boulifa, Mammeri et d'autres en avaient fait de même et quoi de plus normal que de chanter sa différence et son identité quant le pouvoir central pharaonique et dictatorial du président Houari Boumediène tentait d’efface toute trace du fait berbère ??? Sa légende naissait, comme celle de Yidir, de Djamel Allam et autres. Imazighen Imula, le groupe de musique par lequel il s était fait une réputation, réunissait des étudiant d’Alger de cette époque de fin des années 60,début des années 70,si favorable a l activisme militant berbériste et auquel la férule de Mouloud Mammeri avait donné toute la mesure en tant qu’animateur de la chair de berbère à l’université d ’Alger (le cours de berbère qu’ il assurait avait fini par être interdit).Ce cours de berbère que donnait déjà Boulifa de son temps, au début du siècle, il fallait l’attribuer à la discipline d’ethnologie, discipline coloniale créée avec la finalité d étudier les sociétés colonisées. C’était une science péjorative pour de nombreux scientifiques. … Arrêté durant les Evènements de 80, emprisonné plusieurs fois et torturé par la sécurité militaire, Ferhat avait gagné la sympathie de tous les kabyles, à cette différence près que son affichage ostentatoire de ses idées communistes n’avaient pas travaillé à son avantage. Deuxième travers à noter et dans la foulée des événements d’octobre 88, la naissance du RCD et l’inféodation volontariste et calculée du MCB à ce parti sous l’appellation de « MCB Coordination nationale » par opposition à «MCB Commissions nationales» qui étaient bien nées, elles, lors des travaux du MCB réel et juste sorti de l’œuf.Le MCB ainsi qu'un grand nombre de sommités intellectuelles étant réunis en conclave à l'hôtel Tamgout de Yakouren durant l’été 80 et en avaient accouché. .Lui et d'autres cadres du RCD étaient bouffés par l’appétit narcissique ( je dirais même problématique et peu porté vers le débat serein car n’acceptant jamais la concurrence ni le débat contradictoire) de Said Sadi.Regardons les Mokrane Ait Larbi, Noureddine Ait Hamoud et consorts,tout ce beau monde avait déchanté et quitté le RCD, parfois dans le bruit médiatique et les procès qui ne les honoraient point ni la direction de ce parti...Cela devait arriver fatalement. Je me rappelle les années où Ferhat Imazighen Imula était du FFS et où le comité de cité de Hasnaoua se jurait de ne jamais accepter d’inviter à l'université le chanteur Ferhat Imazighen Imula en tant que militant politique FFS, la seule paternité acceptable pour eux du MCB était celle de l’université de Tizi Ouzou qui avait été le facteur déclenchant et le théâtre des événements de 80.Les années 90 ont été celles du terrorisme,de la décennie noire,des Janviéristes et des geberaux militaires. C était l'enfer Algérien. Arrivait le printemps noir en 2001 avec l’assassinat de nos jeunes de Kabylie et ce fut là le dérapage extrémiste vers l’autonomie et l’indépendance de la Kabylie. Ferhat aura commis tous les revirements et aura succombé à toutes les tentations d affirmation de son autoritarisme. Quelque légitime que fût son combat,nous croyons qu'il était passé à côté de sa responsabilité. Il avait pourtant les moyens intellectuels de convoquer la Kabylie à un débat urgent et vital et proposer un ordre du jour en rapport avec le sang innocent de nos jeunes qui se versait et auquel nul Kabyle ne saurait se soustraire.Que devait décider la Kabylie ? Cela n'avait pas été fait. C'est à croire que dès qu'une notoriété naissait en Kabylie, celle-ci s'entourait aussitôt de réflexes d'autoritarisme imputables à l'absence de culture saine et concertée du pouvoir. L’aventure insuffisamment considérée de combat pour l’indépendance de la Kabylie, toute séduisante qu’elle soit pour beaucoup, est pour nous, une impossibilité historique et anthropologique. Les conséquences en seraient désastreuses, incommensurables et immensément immenses…

Mohand améziane Haddag