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22 octobre 2020 4 22 /10 /octobre /2020 15:23

       Dans une excellente et très documentée étude articulée autour du champ politique algérien             à travers des interrogations sur la société traditionnelle ancienne  et intitulée : « De la Segmentarité à l’Opacité », Hughs Roberts, chercheur au London School of Economics  and Political Sciences, a développé tout un argumentaire qu’il a opposé aux approches théorique de Pierre Bourdieu et Ernest Gellner, deux invétérés défenseurs de l’analyse segmentariste post-durkheimienne .Il s’est interrogé si  l’optique des chercheurs en sciences sociales qui ont travaillé sur l’Algérie politique a été bonne et s’il ne convenait pas de revoir les perspectives théoriques qui ont orienté les tentatives d’analyse du champ politique , en soutenant mordicus qu’à l’origine de ce problème, il y avait ce qu’on pourrait appeler un virage dans l’histoire de l’anthropologie politique du Maghreb qui a couté cher, à long terme, à la recherche dans la mesure où l’avènement de la pensée structuraliste en anthropologie avait déclassé toute autre approche non segmentariste, y compris chez nombre de chercheurs algériens.

 En effet, « la sociologie structuraliste a été porteuse  de présupposés  intrinsèques en faveur des stratégies déterministes et réductionnistes d’explication de tout ce qui se passe dans le champ sociopolitique, ce en quoi cette théorie n’est que la sœur ennemie du matérialisme historique»,  bloqué dans son erreur de concevoir que tout ce qui appartient au champ politique  proprement dit comme n’étant que d’une importance superficielle, épiphénoménale, la clé de l’explication théorique se  trouvant toujours ailleurs, dans la structure sociale ou la « base économique »… Depuis la fin des  années soixante, cette définition de la segmentarité a constitué le principal paradigme des questions théoriques en anthropologie du Maghreb1. Mais, au-delà de la récusation par H.Roberts des axiomes structuralistes qui réduisent le politique au social dans les sociétés acéphales, ces protoplasmes sociaux  sans Etat, et sa position en faveur de l’existence de modèles d’autogouvernement exercé au sein d’institutions traditionnelles, il est nécessaire de souligner que ces structures, n’étant  pas dotées de pouvoir coercitif institué au sens wébérien, c’est-à dire établissant un rapport indispensable entre le pouvoir politique et le monopole de l’exercice légitime de la violence, la dynamique sociale villageoise ou de tout autre segment de la société recèle et fonctionne, par-delà la façade d’un démocratisme réfractaire à quelque hiérarchisation que ce soit dans le dépassement des statuquos, sous la contrainte des luttes d’influence, à partir de positions sociales inégales. Les segments, pris dans le tourbillon d’échanges de la violence  évoluaient dans un cadre d’égalitarisme strict  dont l’équilibre ne pouvait être garanti sans une sorte de « démocratie militaire », chaque lignage disposant du droit aux moyens de défense. Cette opposition des segments emboîtés  se régulait soit par leur fusion, soit par leur scission…, et certains conflits entre lignages en cette société agnatique à l’honneur ombrageux  pouvaient particulièrement être âpres et se solder par l’extermination des individus mâles ou par leur exode2

Cette « présentation » ne donne que le schéma d’une morphologie sociale et reste muette sur la dynamique du système. D’où viendrait donc cette  persistance de l'esprit tribal dans les pratiques sociales de clientélisme  et sur quoi s’appuie la sécularisation du lien social y afférent? Les Indépendances, au-delà des attributs formels de la souveraineté  et sous l'effet de l'enthousiasme de l'État national naissant , ont amalgamé…

La mentalité archaïque a épousé la nouvelle situation politique et eut le loisir de s’injecter dans les corps institutionnels qu’elle découvre et qui sont sensés s’en être émancipés.Elle engage les sociétés qu’elle anime sur la voie qui tourne le dos au dépassement de soi et du statuquo social et à s’auto reproduire, agissant comme s’il n’y avait pas pour elle nécessité d’un recul, d’une dissociation entre l’individu et le groupe , entre le social et l’environnement en vue d’objectiver le réel et de se définir une responsabilité historique. Mais comprendre ces sociétés ne pourrait se faire sans prendre le phénomène social qu’elle constitue « total ».D’ailleurs, la plupart des écoles dites » culturalistes » on insisté sur le caractère  global des  coutumes, institutions, attitudes collectives, qui « constituent, ou bien, reflètent le choix existentiel »de la «société.

Ruth Benedict et Margaret Mead, anthropologues américaines, ont, entre autres, contribué à faire admettre ce point de vue  et à discréditer les études fragmentaires, voire ,atomistiques, qui isolaient tel ou tel aspect d’une culture  pour le mettre en rapport avec d’autres pris dans un autre contexte, comme si une civilisation n’était qu’un assemblage de morceaux ,une sorte de jeu de cube.

Personnalité de base

ont montré l’intérêt que les anthropologues pouvaient avoir  à envisager comme un tout ou comme les reflets d’une totalité la plupart des phénomènes  sociologiques et psychologiques imputables à une certaine forme de vie collective ou de comportement collectif. Quand on a reconnu ce principe méthodologique, une question vient se poser d’elle-même : à quel niveau doit-on se situer et chercher cette unité qui caractérise le style, »le choix existentiel » ou la globalité d’un ensemble social ?

Il nous paraît donc fondamental de nous interroger sur les dynamiques inconscientes en jeu dans l'enchaînement des événements historiques, ainsi que dans les domaines de l'idéologie, de la culture et du politique. C’est à la base des soubassements inconscients et des représentations de la société qu’il convient d’aller chercher les causes structurelles dans la genèse de la violence potentielle portée par les projections inconscientes sur l’Autre… (des attitudes conflictuelles entre individus et /ou intersegmentaire).

 La sociologie clinique, dont  Vincent De Gauléjac, est le principal promoteur, se donne pour but d’étudier les  rapports sociaux et particulièrement  la conduite subjective des individus, les sentiments sociaux et  les émotions collectives. Elle s’emploie à montrer que les processus sociaux de dominations, les infiltrations inconscientes «  des déterminismes » collectifs, couplés aux processus psychiques inconscients, ont des conséquences qui peuvent s’avérer potentiellement violentes.  Mais, c’est l’approche psychanalytique  qui semble être  un recours  pertinent dans le déchiffrement  de ces zones d’ombre du comportement social, étant entendu que si chaque individu  a sa propre histoire, il a aussi  ce que l'on peut définir comme sa « préhistoire », dont la psychanalyse a, pour une  grande part, pour fonction de permettre l’élucidation. Cette préhistoire dont le rôle, si important qu’il soit, a été « longtemps négligée » par les psychanalystes. Elle est le lieu d’agitations, de mouvements browniens d’éléments psychiques  aussi disparates que les pulsions partielles, les défenses, les investissements et les contre-investissements, les répétitions… etc., qui, tous, concourent à la réalisation d’un point d'équilibre qui constitue ce que l'on nomme l'«identité ». Les résurgences «transgénérationnelles de ce processus de transmission d’images préconscientes de leur  passé et des scènes fantasmatiques qui  mettent en scène les personnages principaux, à savoir leur propres « ancêtres », découlent, en réalité, de cette construction à partir  d’éléments d'une préhistoire préconsciente qui sont autant de fragments importants de leur identité.

Nous sommes tentés, donc, de penser que la violence est, ici, un acte fondateur. Absence de reconnaissance de soi par l’autre et de complémentarité organique, (absence de culture corporatiste, nécessité d’une identité « horizontale »),le processus de maturation identitaire  s’en trouve bloqué. Ce défaut d’identification dans l’altérité immédiate et, plus encore dans  celle lointaine, pourrait s’avérer être l’un des niveaux les plus profonds de stabilisation Une société égalitariste où les attitudes sont souvent poussées vers l’escalade symétrique, autrement dit vers des conflits ouverts (non confirmation de la définition de Soi par l’Autre, du fait d’un comportement sociopolitique en tout point symétrique, chaque position étant « convaincue de son excellence » (le Kabyle se pose en s’opposant-dixit M.mammeri), entraîne, en se renouvelant historiquement et automatiquement ad vitam, une crise d’identification sociale. Ceci ne peut aller sans engendrer de l’insécurité mentale et des  mécanismes de défense, symétries des attitudes, conflits)…En ce sens, le processus de maturation identitaire requérant confirmation de inconsciente de la norme psychosociale et tout l’édifice culturel accessible, vérifiable et historicisé, les comportements   ainsi que   les « valeurs du groupe »  en portent l’empreinte indélébile. Son archaïcisation n’est pas un simple choix cambré sur un conservatisme sécurisant, elle répond à quelque chose de plus fondamental : la survie de «  l’être » qui jamais n’a été défini autrement et n’admettant aucune malléabilité quelles que puissent  avoir été les rigueurs obsidionales de leur histoire et les défis qui ont menacé la citadelle sociale, antre de son entretien (ghetto historique et existentiel, survie de la langue, l’endogamie, l’abandon des plaines pour les pitons rocheux…,sa mise sur la grève de tous les fleuves « de civilisation » qui ont baigné l’espace méditerranéen...).Salluste, dans son « bellum jugurtinum » (la guerre de Jugurtha) n’affirmait-il pas : « le berbère assimile toutes les civilisations mais n’est assimilé par aucune »…Mais pourquoi n’a-t-il pas construit la sienne ?

               Par ailleurs, que pouvait opposer de résistance aux envahisseurs une société qui n’a jamais su capitaliser, du fait de trop d’affrontements et de mouvements d’hostilités centripètes? Et jusque dans la geste culturelle contemporaine, le guerrier est toujours passé devant « l’amusnaw », la conscience collective de la société fruste, fragile pendant des lustres et que seul accaparait le souci de survivre à  l’adversité, ne pouvait se permettre de s’investir socialement et objectivement dans le projet d’un progrès social et de la pensée ( la langue berbère ne peut supporter la pensée abstraite),le souci de la survie étant primordial…Jusqu’aux noms de « ses « héros » et rois de l’antiquité, c’est par l’entremise de l’histoire latine qu’elle en prend connaissance et non par le fait d’un flambeau de mémoire dynamique transgénérationnelle entretenue. Ibn Khaldoun  avait bel et bien écrit Les Prolégomènes  ainsi que l’Histoire des Berbères, mais sa pensée avait-elle diffusé profondément dans le corps social ? L’avait-elle seulement effleuré ? Le pouvait-elle, en l’absence d’une organisation instituée de la cité politique, et d’un pouvoir constitué en qui se reconnaîtraient tous les segments de la société-schéma central d’identification-, les multiples dynasties du Moyen-âge s’effritant à la même vitesse qu’elles s’étaient constituées, les unes naissant dans les cendres des autres? Les constructions politiques, les cités du savoir étaient strictement urbaines. La jachère culturelle du pays profond n’a pas cessé d’abriter des archaïsmes auto reproductifs et d’entasser les siècles. Et qu’étaient-ce, ces dynasties, pour l’underground social soumis d’abord à la tribu et payait « l’iqtaâ » (sorte d’impôt) ?  Une tribu « plus puissante que les autres s’aliénait un corps de cavalerie et soumettait toutes les autres, sans les intégrer positivement, au makhzen central coalisé…Les empires Almoravide puis Almohade … brillante civilisation andalouse ...en dehors de l’espace urbain…mais n’avait pu soustraire le peuple à ses archaïsmes et le mettre sur l’orbite d’un devenir commun et d’une complémentarité organique…Plus près de nous, en Kabylie précoloniale, le souvenir du « règne » par l’airain de la tribu des Aït Kaci est encore dans les mémoires via la veine orale, mais, elle-même était un makhzen turque .Ce n’était pas une tribu historique mais de constitution artificielle…agglomérat… Salluste, dans son « bellum jugurtinum (la guerre de Jugurtha) affirmait que « le berbère assimile toutes les civilisations mais n’est assimilé par aucune »…

                        Il faudrait un changement majeur pour couper ce continuum immémorial et impulser une dynamique nouvelle de l’initiative historique. Mais un changement profond d'ordre structurel briserait le sceau des appartenances communautaires, seuls vrais territoires psychologiques de l’identité, et porterait  atteinte aux échanges, aux pratiques, affectant à la fois les systèmes symboliques, les systèmes de valeurs et les constructions représentatives L'effacement des références, la crise de la légitimation, l'accélération des modifications qui interviennent dans les modes «  de praxis » et les rapports humains auraient pour conséquence un certain délitement du lien social par la remise en cause des interprétations qui permettaient de produire du sens. De systèmes signifiants ou les individus suffisamment insérés dans une logique de fonctionnement social  où ils trouvaient à se poser, il leur  faudrait  se replier « dans des systèmes incertains, instables, ou les points d'appui se déroberaient.» Le propre d’une mutation est de toucher tous les niveaux, mais elle est surtout l'impossibilité pour les individus et les groupes de se projeter dans l'avenir en s'appuyant sur les constructions nouvelles. Cela confine, pour eux, a un vide, devant lequel, le mouvement devrait être de s'accrocher à une « identité qui se perd » et qu’il leur faudrait préserver. « La vérité de soi étant du côté de ce qui avait trouvé une certaine stabilité. » Cette représentation les amènerait à une revendication identitaire : l'angoisse, le malaise seraient les signes de la perte d'un contenu substantiel qu'il s'agirait de retrouver. Revendication d'autant plus affirmée qu'elle est soutenue, dans un  climat de menace, par un processus d'idéalisation de l'équilibre antérieur.

 

                                                                             Mohand Améziane Haddag

                                                                                                   Tous droits réservés

 

 

Bibliographie (notes) :

-Hughs Roberts,  DE LA SEGMENTARITÉ À L’OPACITÉ:À PROPOS DE GELLNER ET BOURDIEU ET LES APPROCHES

THEORIQUES À L’ANALYSE DU CHAMP POLITIQUE ALGÉRIEN, December 2002

- Cazeneuve Jean. Les structures mentales archaïques et les blocages du développement. In: Tiers-Monde. 1967, tome 8 n°29. Blocages et freinages de la croissance et du développement. pp. 57-67.

- Florence GIUST-DESPRAIRIES   L'identité  comme processus entre liaison et déliaison   Université  Paris  8.

 

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